Pourquoi des nouvelles courbes pour le suivi de la croissance des enfants en France ?
La surveillance de la croissance des enfants est une activité essentielle. Elle peut avoir des buts variés comme le suivi de l’adéquation des apports nutritionnels en situation normale ou pathologique ou le repérage précoce de maladies comme le syndrome de Turner ou la maladie cœliaque par exemple. Cette surveillance repose sur des mesures régulières de poids, de taille, de périmètre crânien et le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC) et leur comparaison à des données de références. Il a été démontré que les courbes de croissance de références contenues dans la version précédente du carnet de santé ainsi que celles proposées récemment par l’Organisation Mondiale de la Santé n’étaient pas optimales pour le suivi de la croissance des enfants contemporains en France (Scherdel PLoS One 2015, Scherdel Lancet Diabetes Endocrinol 2016). La Direction Générale de la Santé a donc chargé en octobre 2016 les chercheurs de l’unité INSERM 1153/CRESS (Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Sorbonne Paris Cité) de produire des courbes de croissance actualisées des enfants français pour la nouvelle édition du carnet de santé.
Comment ont-elles été construites ?
Les chercheurs du CRESS ont opté pour une approche innovante de type « big data », qui constitue une première mondiale pour la construction de courbes de croissance d’enfants. Il a été nécessaire au préalable d’identifier un réseau de professionnels de santé assurant le suivi médical régulier d’un grand nombre d’enfants de la naissance à l’âge adulte et utilisant le même système informatique. Il fallait aussi que ce groupe de professionnels et les administrateurs du système informatique acceptent de collaborer gratuitement pour réaliser l’extraction des données. Les chercheurs ont donc mis en place un partenariat avec l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) et l’entreprise CompuGroup Medical qui produit les logiciels métiers Infansoft® et AxiSanté®, utilisés par un grand nombre de pédiatres et médecins généralistes français.
Après obtention des autorisations réglementaires, ce partenariat a permis de recueillir de façon totalement anonyme les données de poids, de taille et de périmètre crânien de tous les enfants suivis par les pédiatres et les médecins généralistes ayant donné leur accord. Quarante-deux médecins avaient préalablement été tirés au sort, en tenant compte de la région et de la taille des villes d’exercice, afin d’assurer une bonne représentativité de l’ensemble du territoire métropolitain. L’extraction massive de données a permis de recueillir environ 2 500 000 mesures de poids, 2 000 000 mesures de taille et 1 200 000 mesures de périmètres crâniens, provenant de 261 000 enfants âgés de 0 à 18 ans. Après une étape de « nettoyage » des valeurs aberrantes ou pathologiques, ces mesures ont permis une modélisation de la croissance des enfants contemporains. La croissance des enfants nés prématurés ou de petit poids de naissance ayant des spécificités dans les premiers mois de vie, seules les données des enfants nés avec un poids supérieur à 2500 grammes ont été utilisées.
Compte-tenu du caractère innovant de l’approche, les choix méthodologiques et épidémiologiques ont été faits en concertation avec un comité d’expertise clinique et méthodologique, composé notamment de l’ensemble des présidents (ou leurs représentants) des sociétés savantes et professionnelles suivantes : Société Française de Médecine Générale, Société de Formation Thérapeutique du Généraliste, Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique, Groupe Francophone d’Hépato-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatrique, Société Française de Neuropédiatrie, Société de Néphrologie Pédiatrique, Groupe de pédiatrie générale et Groupe de Pédiatrie Sociale de la Société Française de Pédiatrie et AFPA. Ce comité d’expertise a également fait des recommandations pour la représentation graphique et les messages associés aux différentes courbes, ce qui a impliqué de nombreux changements par rapport à l’édition précédente du carnet de santé.
Qu’est-ce qui a changé ?
Des valeurs de références différentes
Comme attendu, les courbes de taille et de poids « AFPA-Inserm/CRESS-CompuGroup Medical 2018 » se situent « nettement au-dessus » des courbes précédentes. Par exemple, à 10 ans, la médiane de la taille des filles des nouvelles références est de 139,5 cm contre 134,7 cm sur les courbes précédentes. Même si ces différences se réduisent à la fin de puberté, cette évolution pourrait théoriquement amener à s’inquiéter sur la normalité de la croissance staturale d’un nombre plus important d’enfants, c’est pourquoi le comité d’expertise a souhaité insister sur la nécessité de prendre en compte la taille cible parentale (cf. infra) dans l’interprétation des valeurs.
Comme recommandé par la Haute Autorité de Santé, le repérage du surpoids et de l’obésité de l’enfant doit reposer sur le suivi de la courbe de corpulence (c’est-à-dire de l’IMC) et non de la courbe de poids, ce d’autant que ces dernières ont été mises à jour. A partir de deux ans, les courbes de corpulence représentées sont celles proposées par l’International Obesity Task Force (IOTF). Elles permettent de suivre la corpulence des enfants par rapport aux définitions à l’âge adulte de la maigreur de grade 3 (<16 kg/m2; IOTF-16), de grade 2 (<17 kg/m2; IOTF-17 choisie comme repère graphique colorimétrique), et de grade 1 (<18,5 kg/m2; IOTF-18,5), du surpoids (>25 kg/m2; IOTF-25), et de l’obésité de grade 1 (>30 kg/m2; IOTF-30) et de grade 2 (>35 kg/m2; IOTF-35). Les courbes de l’IOTF sont celles préconisées par le Plan National Nutrition Santé pour la surveillance de la corpulence des enfants et sont largement utilisées au niveau national et international. Si l’IOTF ne propose pas de courbes de corpulence avant deux ans, le comité d’expertise a souhaité les prolonger par les courbes « AFPA-Inserm/CRESS-CompuGroup Medical 2018 » sur cette tranche d’âge, afin de permettre la visualisation du pic de corpulence autour de neuf mois. Toutefois, avant deux ans, le prolongement de la courbe IOTF-25 ne doit pas être considéré comme une définition du surpoids.
Deux courbes de taille et poids au lieu d’une entre 0 et 3 ans (pages 78-79 et 82-83)
La croissance staturale et pondérale des filles et des garçons diffère très tôt. Le comité d’expertise a donc considéré important de proposer des courbes spécifiques dès la période de 0-3 ans contrairement à la version précédente du carnet de santé qui n’en présentait qu’une seule.
Deux courbes de périmètres crâniens au lieu d’une entre 0 et 5 ans (pages 80 et 81)
La croissance du périmètre crânien diffère également entre les filles et les garçons et le comité d’expertise a considéré nécessaire son suivi au moins jusqu’à l’âge de 5 ans. Les courbes du périmètre crânien sont donc représentées depuis l’âge d’un mois et jusqu’à cinq ans (et non trois ans comme avant), et séparément chez les filles et les garçons. L’interprétation des mesures doit prendre en compte les périmètres crâniens des parents, c’est pourquoi des abaques de périmètres crâniens adultes (exprimés en écarts-types pour la mère et le père de l’enfant) sont représentées en haut à droite de chaque courbe de périmètre crânien.
La taille cible (pages 84 et 86)
L’interprétation des mesures de taille tient compte de celles des parents. Pour cela, la formule de calcul de la taille cible parentale (en cm) retenue dans le référentiel national du Collège des Enseignants de Pédiatrie est proposée en haut des courbes de taille de un à 18 ans. Une flèche guide son report vers la fin de la courbe de l’enfant ce qui permet d’établir une distance (qui doit être exprimée en écarts-types) entre le couloir de croissance de l’enfant et la taille cible parentale. Le comité d’expertise a souhaité rappeler que 80% des enfants en bonne santé auront une taille finale comprise entre cette taille cible parentale – 6 cm et + 6 cm.
De plus nombreux couloirs de croissance représentés
Sur l’ensemble des courbes, un nombre plus important de couloirs de croissance sont représentés par rapport aux courbes précédentes, afin de mieux suivre les trajectoires de croissance individuelles.
Pas de courbe entre 0 et 1 mois
Le suivi de la croissance néonatale concerne surtout le poids. La surveillance de la croissance pondérale néonatale peut être réalisée avec précision en page 12 du carnet de santé. C’est pourquoi le comité d’expertise a recommandé de ne pas représenter les courbes entre la naissance et un mois pour inciter à utiliser la courbe de croissance pondérale néonatale.
Des indications de période pubertaire (pages 84 et 86)
Les âges physiologiques d’apparition des stades de Tanner S2 et P2 chez les filles et G2 et P2 chez les garçons ont été représentés en bas des courbes de poids et de taille entre un et 18 ans. Les âges indiqués sont les mêmes que ceux retenus dans le référentiel national du Collège des Enseignants de Pédiatrie.
Des messages clés au fil des pages
Le comité d’expertise a souhaité inclure des messages courts au fil des pages afin de sensibiliser les parents et les médecins à l’importance d’un suivi régulier de la croissance ou pour insister sur les paramètres devant être pris en compte pour l’interprétation des mesures.
Pour nous contacter : courbesdecroissance.cress@inserm.fr
Références
- Heude B, Scherdel P, Werner A, Le Guern M, Gelbert N, Walther D, Arnould M, Bellaïche M, Chevallier B, Cheymol J, Jobez E, N’Guyen S, Pietrement C, Reynaud R, Salaün JF, Khoshnood B, Zeitlin J, Maccario J, Breart G, Thalabard JC, Charles MA, Botton J, Frandji B, Chalumeau M. A big-data approach to producing descriptive anthropometric references: a feasibility and validation study of paediatric growth charts. Lancet Digit Health. DOI: 10.1016/S2589-7500(19)30149-9
- Bergerat M, Heude B, Taine M, Nguyen The Tich S, Werner A, Frandji B, Blauwblomme T, Sumanaru D, Charles MA, Chalumeau M, Scherdel P. Head circumference from birth to five years in France: New national reference charts and comparison to WHO standards. Lancet Reg Health Eur. 2021. DOI: 1016/j.lanepe.2021.100114