Indice de masse corporelle et handicap: une analyse internationale dans des pays à revenu moyen et élevé
Le vieillissement de la population s’accompagne d’une hausse du nombre de personnes vivant avec des limitations fonctionnelles qui compliquent la gestion des tâches du quotidien, comme faire ses courses, gérer son argent ou s’habiller seul·e. Dans ce contexte, l’indice de masse corporelle (IMC) est souvent étudié comme facteur de risque, mais on sait moins comment la maigreur et l’obésité se traduisent en termes de handicap, ni si ces liens ont changé au fil du temps.
Dans un article récemment publié en accès libre dans Obesity Reviews, l’équipe EpiAgeing (CRESS U1153, Université Paris Cité / Inserm) a examiné l’association entre les catégories d’IMC et les limitations fonctionnelles chez les adultes de 50 ans et plus dans plusieurs grandes enquêtes nationales menées aux États-Unis, en Europe, en Corée, au Mexique, en Inde et en Chine.
L’originalité de ce travail est double : il compare des pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire et s’appuie sur deux périodes d’observation (début des années 2000 et milieu des années 2010), ce qui permet de voir si la montée de l’obésité s’est accompagnée d’un changement dans son lien avec le handicap.
Les résultats délivrent un message clair : les extrêmes de l’IMC, tant la maigreur que l’obésité, sont associés à un risque plus élevé de limitations fonctionnelles. Par rapport à une corpulence dite « normale », être en situation de maigreur est systématiquement lié à une probabilité accrue de difficultés dans la vie quotidienne, qu’il s’agisse de tâches pratiques ou de gestes de base. Cela suggère une plus grande fragilité et une moindre réserve physiologique chez les personnes âgées maigres.
Pour l’obésité, le tableau est plus nuancé. Chez les hommes, l’obésité est paradoxalement associée à moins de limitations dans certaines tâches instrumentales, notamment la gestion de l’argent, mais à davantage de difficultés pour les gestes physiques de base, comme s’habiller. Chez les femmes, l’obésité est clairement liée à plus de limitations dans les activités de base de la vie quotidienne et, dans les pays à revenu élevé, à des difficultés accrues pour certaines tâches nécessitant de la mobilité, comme faire les courses ou préparer des repas chauds.
Un autre résultat important est que ces associations entre IMC extrême et handicap sont généralement plus marquées dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu intermédiaire. Plusieurs pistes explicatives sont évoquées: modes de vie plus sédentaires, meilleure survie avec des maladies chroniques au prix de plus d’années vécues avec des limitations, ou encore différences culturelles dans la façon de déclarer et de vivre le handicap.
Enfin, même si la prévalence de l’obésité a nettement augmenté entre le début des années 2000 et le milieu des années 2010, la force du lien entre les catégories d’IMC et les limitations fonctionnelles semble globalement stable dans le temps. Autrement dit, ce n’est pas tant la nature de l’association qui change, mais le nombre de personnes exposées.
En résumé, cette étude montre que prévenir à la fois la maigreur et l’obésité après 50 ans est essentiel pour limiter le fardeau du handicap lié à l’âge. Elle invite à développer des stratégies de prévention et de prise en charge adaptées au sexe, à la catégorie d’IMC et au niveau de revenu du pays, afin de permettre au plus grand nombre de vieillir en conservant leur autonomie.
Marcos Machado-Fragua
marcos.machado@inserm.fr
Crédit photo : M. Machado-Fragua – illustration générée par IA (DALL·E)